La presse de bel-ami
M. Guy de Maupassant vient de publier un livre très remarquable et qui ne manque pas de courage. Bel-Ami, tel est son titre, un titre court, mais qui en dit long. L’auteur d’Une vie n’avait pas encore donné de son talent robuste une preuve aussi décisive, une démonstration aussi brillante. Je n’entends pas faire la critique de ce bel ouvrage , je veux seulement dire que
M. Guy de Maupassant n’était jamais entré plus profondément dans la psychologie humaine et qu’il a écrit là quelques pages admirables, d’un art très puissant et définitif.
C’est donc un vrai régal de lettres que ce livre, et la saveur en est d’autant plus délicieuse et nouvelle pour nous que nous la goûtons après les écoeurements de Solange de la
Croix Saint-Luc (Oh ! mon chevalier d’Arlincourt !) des frères Delpit. Dans l’imbécillité des productions littéraires courantes, Bel-Ami éclate comme éclaterait un tableau de Manet exposé parmi les toiles de M. Gervex et de M. Van Beers .
Le sujet de Bel-Ami est fort simple. C’est l’histoire d’un gredin qui vit des femmes. Or, il arrive que ce gredin qui vit des femmes est en même temps un journaliste. Vous voyez d’ici l’impudeur et le sacrilège. Un prêtre souillant le saint ciboire, devant une assemblée de dévotes, n’aurait pas commis action plus horrifique.
Il va de soi que les plus intrépides à stigmatiser le crime de M. de Maupassant étaient aussi les plus honorables et les plus publiquement connus pour pratiquer les plus austères vertus. Ce ne fut qu’un cri à Tortoni et aux Biberons, et l’on conte que les absinthes et les bocks protestèrent d’eux-mêmes. Ah ! la corporation fut noblement vengée, je vous assure, et
M. de Maupassant rabroué de la belle manière.
Il en résulta ceci que, pendant quinze jours, on chanta sur tous les tons la gloire du journalisme parisien, et il fut bien prouvé que, de toutes les professions, le journalisme parisien tait la plus belle, la plus sublime ; que tous les journalistes