La remontée des cendres
Suivi de NON IDENTIFIES
Tahar Ben Jelloun Préface
Officiellement la guerre du Golfe est terminée. Le Koweït n'est plus occupé. L'Irak est en grande partie détruit. Et les morts sont enterrés. Pas tous. Les Occidentaux ont compté leurs morts et les onl rapatriés. En partant, ils ont laissé derrière eux des milliers de victimes. On ne saura peut-être jamais combien les tonnes de bombes larguées sur l'Irak ont tué de personnes, civiles et militaires. Ce sont ces corps anonymes, ces corps calcinés et dont on a vu brièvement des images à la télévision, à qui ce texte voudrait rendre hommage. Il voudrait leur donner des noms et les inscrire sur une stèle pour le souvenir. Sans haine. Avec dignité. Jetés dans la fosse commune, ils feraient une sorte de visage anonyme qui contiendrait et rappellerait tous les absents. Il fallait laver les mots, arracher l'herbe rouge qui scintille. Il fallait ciseler les images dans une mémoire récente et en même temps très vieille. Elles sont souvent nues et ont subi plusieurs déplacements. Elles ont voyagé, traversé les siècles et continuent de chercher asile entre l'émotion et la pudeur. Chaque guerre laisse derrière elle des restes. Celle du Golfe en a laissé beaucoup. Et le monde, la conscience du monde ont déjà les yeux posés ailleurs. C'est une question de routine. Le monde des puissants - les États-Unis d'Amérique et leurs alliés - a pris l'habitude de se laver les mains et de rassurer sa conscience après avoir provoqué morts et destructions. Il rejoint en toute sérénité la logique du fossoyeur après avoir proclamé « la logique de guerre ». Une fois qu'on a tiré une couverture de sable et de cendre sur des milliers de corps anonymes, on cultive l'oubli. Alors la poésie se soulève. Par nécessité. Elle se fait parole urgente dans le désordre où la dignité de l'être est piétinée. Mais les mots restent pâles quand la blessure est profonde, quand le chaos programmé est brutal et irréversible. Contre cela les