LA règle de droit comme modèle
1. - La règle de droit est une « règle de conduite dans les rapports sociaux, générale, abstraite et obligatoire, dont la sanction est assurée par la puissance publique » (1). Que l'on adopte cette définition ou qu'on lui préfère une variante marquant son appartenance à un genre des « ordres », « commandements », « impératifs » ou encore des « directives », il n'est guère contesté que toute règle juridique a pour objet une conduite, par là même imposée, interdite ou permise. Dans son champ de validité, tout ordre juridique répartirait les actions humaines en licites (prescrites, positivement permises, ou indifférentes) et illicites (actions prohibées ou abstentions d'accomplir ce qui est prescrit)
; encore que cette répartition selon un code binaire puisse être troublée par le sentiment d'un « vide juridique » rendant incertain le statut d'un comportement dont on souhaiterait qu'il fût explicitement commandé, interdit ou autorisé. Cette conception des règles de droit et de leur rapport aux actions relève de ce « sens commun théorique des juristes », qui fournit la matière commune de la plupart des ouvrages et des enseignements d'introduction au droit. Elle est reçue ou confortée par maintes productions de théorie ou philosophie du droit, à commencer par le normativisme kelsénien. Les sociologues qui s'intéressent à la présence du droit dans les relations sociales paraissent s'en accommoder, si même ils n'en font le présupposé d'une notion bien sommaire de l'effectivité (les comportements conformes) ou de l'ineffectivité (les comportements infractionnels) des normes.
Soucieuses de dévoiler les fonctions sociétales du droit au coeur d'un mode de production générateur d'inégalités et de domination, les approches critiques ne s'inquiètent guère de sa pertinence. Il est vrai que, si nul ne dénonce plus dans le droit la volonté masquée de la classe dominante ou une pure variété de violence, cette vision de la norme juridique comme précepte de