La vie
Quand mon ami Hidehiro Tachibana, professeur à l'université Waseda, qui connaît ma passion pour Haïti et que j'ai un soir emmené assister à une cérémonie vaudoue, à Villejuif, m'a demandé de présenter en quelques mots la littérature haïtienne, j'ai été partagé entre deux sentiments : d'abord, celui du plaisir à dresser un tableau rapide de cette littérature, tableau assez descriptif pour être informatif, tout en donnant envie de la découvrir, car elle nous interroge depuis son émergence sur la présence de l'Autre. D'un autre côté, j'ai éprouvé un relatif malaise, devant une tâche redoutable : le discours savant tend ici un piège à une littérature ramenée, dans la plupart des cas, à une province de la littérature française, une de ces provinces un peu marginales, peuplées de paysans simples mais retors, qui battent tambours et sont "chevauchés" par les loas, ces esprits du vaudou, si jaloux de leurs prérogatives ; une province animée aussi par des conflits sociaux et politiques qui tiennent à une économie du tiers-monde, dirigée par des classes sociales spoliatrices, qui, depuis l'Indépendance, en 1804, ont mis à leur service des dictateurs fantoches, quoique violents et même sanguinaires, aidés de ces redoutables tontons-macoute de la défunte papadocratie, qu'ont si bien représenté sous leur aspect à la fois féroce et falot les peintres Edouard Duval-Carrié et Fritzner Lamour, respectivement comme des alligators et comme de coqs.
Mais laissons là les stéréotypes pour touristes en mal de sensations exotiques et tentons plutôt d'approcher cette littérature qui résonne encore d'un long cri : un cri poussé par le premier esclave vendu et estampé, un cri prolongé par les révoltés