(LA1) L'ombre de Catane
Je suis avec mon frère Jamal. Je ne dis rien. Je claque la portière de la voiture. Il fait tourner la clef. Le moteur gronde.
Ce soir, les hirondelles volent haut dans le ciel. Les boulevards grondent du vacarme des klaxons. La poussière soulevée par les embouteillages est encore chaude du soleil de la journée. Mon frère Jamal ne dit pas un mot. Nous roulons. Je sais que nous partirons cette nuit. Je l'ai compris à son regard. S'il m'a demandé de venir avec lui, c'est qu'il veut que nous soyons ensemble pour dire adieu à notre ville. Je ne dis rien. La tristesse et la joie se partagent en mon âme. Les rues défilent sous mes yeux. J'ai doucement mal de ce pays que je vais quitter.
Jamal gare la voiture sur la place de L'Indépendance. Nous entrons dans notre café, celui où l'on vient tous les jours. Fayçal nous fait signe de la tête. Il joue aux dés avec son oncle. Nous saluons les visages que nous connaissons, puis nous nous asseyons. Mon frère a choisi une des tables qui donnent sur la terrasse.
Nous restons dans la pénombre du café mais nous jouissons de la vue sur la place.
Je regarde mon frère qui contemple les orangers, les fouillis des voitures et la foule des passants et je sais ce qu'il pense. Il boit son thé sans quitter des yeux cette place qu'il ne verra plus. Oui, je sais ce qu'il pense et je fais comme lui. Immobile, je laisse les bruits et les odeurs m'envahir. Nous ne reviendrons plus jamais. Nous allons quitter les rues de notre vie. Nous n'achèterons plus rien, jamais, aux marchands de cette rue. Nous ne boirons plus de thé, ici. Ces visages, bientôt, se brouilleront et deviendront incertains dans notre mémoire.
Je contemple mon frère qui regarde la place. Le soleil se couche doucement. J'ai vingt-cinq ans. Le reste de ma vie va se dérouler dans un lieu dont je ne sais rien, que je ne connais pas et que je ne choisirai peutêtre même pas. Nous allons laisser derrière nous la tombe de