Lamartine
Je suis d'un pas rêveur le sentier solitaire ; J'aime à revoir encor, pour la dernière fois, Ce soleil pâlissant, dont la faible lumière Perce à peine à mes pieds l'obscurité des bois.
Oui, dans ces jours d'automne où la nature expire,
10 À ses regards voilés je trouve plus d'attraits ; C'est l'adieu d'un ami, c'est le dernier sourire Des lèvres que la mort va fermer pour jamais.
Ainsi, prêt à quitter l'horizon de la vie, Pleurant de mes longs jours l'espoir évanoui, Je me retourne encore, et d'un regard d'envie Je contemple ses biens dont je n'ai pas joui.
Terre, soleil, vallons, belle et douce nature, Je vous dois une larme aux bords de mon tombeau ; L'air est si parfumé ! la lumière est si pure !
20 Aux regards d'un mourant le soleil est si beau ! Je voudrais maintenant vider jusqu'à la lie Ce calice mêlé de nectar et de fiel : Au fond de cette coupe où je buvais la vie, Peut-être restait-il une goutte de miel !
Peut-être l'avenir me gardait-il encore Un retour de bonheur dont l'espoir est perdu ! Peut-être, dans la foule, une âme que j'ignore Aurait compris mon âme, et m'aurait répondu !...
La fleur tombe en livrant ses parfums au zéphire ;
30 À la vie, au soleil, ce sont là ses adieux : Moi, je meurs ; et mon âme, au moment qu'elle expire, S'exhale comme un son triste et mélodieux.
Commentaire
C’est la méditation XXIII, qui a été écrite à Milly en 1819. Elle traduisait l'évolution sentimentale de Lamartine qui, après l'amertume de la passion malheureuse pour Elvire (à qui il allait consacrer encore “Le crucifix” dans les “Nouvelles méditations” [1823]),