Chronique d'un chagrin annoncé

Ils avaient pris l'habitude de vivre tout le temps nus .. Été comme hiver .. Ils passaient des heures entières lovés l'un contre l'autre en se caressant le corps avec toujours un peu de musique .. Parfois, un bouquin pour deux, souvent leurs yeux pour unique paysage .. C'était venu comme ça cette manie de vivre à poil, à force de rentrer toujours comme des sauvages, avec cette envie qui leur compressait l'âme. Ils ont commencé par s'endormir à moitié vêtus mais en plein sommeil, ils s'arrachaient à nouveau le moindre petit bout de tissu, ils se cherchaient dans la nuit, fallait qu'ils se frôlent, qu'ils se touchent, qu'ils se sentent, qu'ils se respirent, qu'ils se fondent, qu'ils s'éblouissent en dedans, qu'ils se possèdent .. C'était devenu instinctif, chaque fois qu'ils rentraient, ils allumaient le chauffage, ils fermaient un tout petit peu le store pour que le soleil ne les éclabousse pas et ils se dessapaient, ils se glissaient sous les draps et ils se cherchaient encore .. Ils ne faisaient pas toujours l'amour mais il fallait qu'ils se touchent, que leurs corps soient en contact permanent, ils ne l'expliquaient pas, ils en avaient juste besoin autant l'un que l'autre.
Cette envie qui leur compressait l'âme .. Ça ne les a jamais quitté.

Y a quelque chose de terrible dans le manque .. Un genre de vertige, comme un trou noir dans l'estomac que rien ne peut soulager .. Une plaie ouverte, comme si on avait le cœur à vif. C'est plus terrible que le manque de l'absence, c'est le manque de soi-même. Un truc qu'on vous enlève .. On ne savait même pas qu'il était là, on s'en est rendu compte par hasard, quand il est parti. Un matin, il y a eu ce trou noir au fond du ventre et ça faisait mal, comme si ça aspirait par l'intérieur le moindre souffle de vie qui voulait s'échapper.
Il y a quelque chose de vicieux dans le manque .. Il réveille les souvenirs et remplit la tête d'image.. Il nous nargue en repassant le film de ce qu'on a