Le bal d'iréne némirovsky
Quand je l’ai tué
Quand je l’ai tué, ça a été rapide, si décisif et radical que j’en reste encore
Étourdie.
Je l’ai repoussé, il est tombé et s’est cogné la tête contre le bord de l’armoire.
Il a crié, s’est redressé, vacillant, surpris, et s’est effondré. Cela n’a pris
Que quelques secondes. Aux yeux de tous, c’est un accident, mais j’avais
Tellement souhaité sa mort que je sais que c’est un crime.
Il a fallu appeler le médecin, prévenir ma mère, mon frère, vivre
Les jours suivants, préparer l’enterrement, recevoir les gens. Il a fallu faire
Chaque chose, la tête vide, les yeux secs, soulagée mais égarée.
Enfant, je recevais de son soulagement ces coups de poings En lui souhaitant qu’un malheur lui tombe dessus
. J’avais peur de ces pensées, un être normal n’est pas consumé par la
Haine, c’est moi qui n’avais pas ma place sur cette terre. Je commençais à
Imaginer comment me jeter sous un train. J’entendais mon père rentrer. Et comme chaque jour je recevaient ma dose de violence, momifiées.
Je cachais à mes copines quel enfer c’était à la maison, j’avais l’air normal
Et j’ai même réussi à passer en terminale. Je n’aurais jamais cru possible
D’être délivrée de lui. Il s’imposait, pesant et désespérant. Il ne changerait
Jamais. Il était mon père, pour l’éternité.
Il rentrait ivre, encore une fois. Ma mère était au supermarché, mon frère
À son entraînement de hand-ball. Seule à la maison, enfin tranquille, je ne
M’attendais pas à le voir arriver si tôt. J’étais allongée sur mon lit à écouter
De la musique. Il est entré sans frapper, ne m’a pas dit un mot et est allé
Éteindre ma chaîne. L’odeur d’alcool est entrée avec lui. Son visage soufflé
Et son corps devenu hésitant, ont envahi ma chambre. J’ai bondi.
– Qu’est-ce qui te prends à éteindre comme ça ?
– Je ne veux pas de ça chez moi, ce boucan !
– Demande-moi, je mettrai moins fort.
Il a brusquement changé d’attitude, il s’est approché de moi, balbutiant,