le bonheur:Nietzsche considerations intempestives
En un certain sens le bonheur semble s'inscrire dans ce que les Grecs appellent l' « instant privilégié ». Ce que les Grecs, en effet, appelaient instant privilégié (nûn), c'est l'extrême ou le sommet d'un accomplissement. C'est le point culminant par rapport auquel tout ce qui précède est sans importance. Ainsi, quand le petit arbre devient un grand chêne, quand le mouvement de la flèche atteint sa cible, un certain instant privilégié est atteint. Et un souhait, un voeu qui s'accomplit est encore un tel instant. U est ce temps non banal qui interrompt la banalité. Lorsqu'un instant privilégié est atteint, le temps ordinaire, quotidien est coupé, par un temps d'exception. Mais en même temps l'instant privilégié, une fois donné, ne peut connaître qu'une dégradation ou une chute. C'est ce point culminant qu'on appellera « bonheur » il accomplit un processus, précède une chute, et est entre les deux.
Mais le bonheur tend vers autre chose que l'instant privilégié. Car nous n'aspirons qu'à une seule chose une fois cet instant privilégié atteint : qu'il ne cesse pas, que le bonheur continue. Nous voulons que l'instant privilégié dure. Nous rencontrons donc un premier paradoxe : l'instant privilégié veut devenir n'importe quel instant. Ce qu'il veut devenir est un instant quelconque. Et la question se pose : comment un tel instant privilégié pourra-t-il cesser d'être privilégié, perdre son privilège, pour devenir l'ordinaire, se dégrader en un temps ordinaire ? Ou bien alors nous avons encore le choix de poser la question du bonheur en sens inverse : notre vie sera heureuse, non pas lorsque l'instant d'exception sera devenu l'ordinaire, mais lorsque tout l'ordinaire se sera comme converti en un instant privilégié. Et il faudra que ce soit toute la quotidienneté ordinaire qui devienne un temps privilégié. Comment faire, cette fois pour que tout l'ordinaire devienne