Le Bulletin Freudien n° 6 Mars 1986 La maladie de la mort Michel ALLEGRE “Tel sujet ne sera alcoolique qu’à partir du moment où un discours sur l’alcoolisme viendra le concerner singulièrement”, cette remarque de François Perrier peut servir d’envoi à cet épinglage que nous avons l’intention d’opérer sur la production de Jackson Pollock. Certes, l’homme a eu droit à bien d’autres étiquettes, mais le pari que nous faisons de cette indexation est d’espérer tirer du geste créateur cette dimension proprement topologique d’une construction dont l’exigence n’est rien moins que la mise en acte d ‘un réel. La trace est une singularité de la drogue, donc de la cocaïne pour notre histoire, mais ceci ne va sans la règle énoncée par Henri Michaux (Connaissance par les gouffres) : “Les drogues nous ennuient avec leur paradis, Qu’elles nous donnent plutôt un peu de savoir. Nous ne sommes pas un siècle à paradis”. Qu’il soit clair que nous ne souhaitons pas ajouter Pollock à la liste des peintres psychopathologiques, mais bien plutôt essayer de prendre la mesure du geste pollockien comme ce qui peut hisser la topologie à la question du rapport de l’alcoolique et de ses objets. Pour nous, avant tout, Pollock participe de la révolution picturale, c’est-à-dire d’une extirpation du réel, le prix à payer est l’alcool ou l’alcool est ce qui permet de tenir face au réel. En ce sens, le geste du peintre est un analogon théorique. Même si le pari semble peu réalisable, il n’y a aucune raison de ne pas se lancer dans l’expérience. Si la théorie psychanalytique a quelque (52) chose à voir avec le réel, qu’elle n’est pas simplement un commentaire religieux d’un ou de textes pétrifiés, la confrontation avec le travail de Pollock peut ne pas manquer d’intérêt. Une des difficultés est sans doute que la dimension du réel en jeu dans son oeuvre est recouverte de l’épais manteau du tragique imaginaire de sa vie et de la confusion entretenue entre diverses influences littéraires. C’est un mythe,