Le capoitaine fracasse
Le hameau se composait de cinq ou six cabanes éparses sous des arbres d'une assez belle venue, dont un peu de terre végétale, accrue par les fumiers et les détritus de toutes sortes, avait favorisé la croissance. Ces maisons, faites de torchis, de pierrailles, de troncs à demi équarris, de bouts de planches, couvertes de grands toits de chaume brunis de mousse et tombant presque jusqu'à terre, avec leurs hangars où traînaient quelques instruments aratoires déjetés et souillés de boue, semblaient plus propres à loger des animaux immondes que des créatures façonnées à l'image de Dieu ; aussi quelques cochons noirs les partageaient-ils avec leurs maîtres sans montrer le moindre dégoût, ce qui prouvait peu de délicatesse de la part de ces sangliers intimes.
Devant les portes, se tenaient quelques marmots au gros ventre, aux membres grêles, au teint fiévreux, vêtus de chemises en guenilles, trop courtes par-derrière ou par-devant, ou même d'une simple brassière lacée d'une ficelle, nudité qui ne paraissait gêner leur innocence non plus que s'ils eussent habité le paradis terrestre. A travers les broussailles de leur chevelure vierge du peigne brillaient, comme des yeux d'oiseau de nuit à travers des branchages, leurs prunelles phosphorescentes de curiosité. La crainte et le désir se disputaient dans leur contenance ; ils auraient bien voulu s'enfuir et se cacher derrière quelque haie, mais le chariot et son chargement les retenaient sur place par une sorte de fascination.
Un peu en arrière, sur le seuil de sa chaumière, une femme maigre, au teint hâve, aux yeux bistrés, berçait entre ses bras un nourrisson famélique. L'enfant pétrissait de sa petite main déjà brune une gorge tarie un