Le despotisme d'Alexis de Tocqueville
Mais ce « meilleur des mondes » ne cache-t-il pas une profonde et dangereuse aliénation ? En obtenant le bonheur de l’Etat, l’homme ne risque-t-il pas de perdre sa liberté ? C’est l’intuition de ce danger qu’a eu Alexis de Tocqueville dès le début du XIXe siècle. Dans ce texte qui porte sur le thème de la société et de la politique, et plus précisément qui traite de l’opposition entre le bonheur et la liberté, il montre justement que l’individualisme contemporain rend possible l’émergence d’un totalitarisme doux, c’est-à-dire un pouvoir qui prive les hommes de leur liberté en leur apportant le bonheur.
Dans un premier temps, Tocqueville expose les conditions existentielles qui rendent possible l’émergence d’un tel pouvoir, à savoir le développement de l’individualisme et la disparition des valeurs autres que la recherche du bonheur. Ensuite, il montre comment un pouvoir doux mais oppressant peut s’édifier sur un tel peuple.
[I. Conditions sociales et existentielles]
« Je veux imaginer » : Tocqueville est clair dès le début, il s’agit ici d’imagination, de divination, de pronostic. C’est une spéculation intellectuelle et philosophique, au sens précis d’une tentative de deviner ce que l’avenir pourrait être.
Ce que Tocqueville veut imaginer, c’est « sous quels traits nouveaux » le despotisme pourrait se produire dans le monde. Le despotisme est un phénomène qui n’est pas nouveau ; mais sa forme peut changer, et Tocqueville imagine cette nouvelle forme. Qu’est-ce que le despotisme ? C’est la tyrannie, c’est-à-dire la dangereuse situation où un peuple se voit privé de ses libertés. Le despotisme du passé était le fait d’un despote ; il se pourrait que celui de l’avenir fonctionne tout autrement, et ne mette