Le discours de la servitude volontaire ou le contr’un*
DE LA SERVITUDE VOLONTAIRE
OU LE CONTR’UN*
Etienne de LA BOÉTIE
(Sarlat [Dordogne – France],
1er novembre 1530 – Germignan, 18 août 1563)
Manuscrit de Mesme
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D’avoir plusieurs seigneurs aucun bien je n’y voy,
Qu’un sans plus soit maistre, et qu’un seul soit le roy ;
ce disoit Ulisse en Homere parlant en public. S’il n’eust rien plus dit, sinon,
D’avoir plusieurs seigneurs aucun bien je n’y voy, c’estoit autant bien dit que rien plus : mais au lieu que pour le raisonner il falloit dire que la domination de plusieurs ne pouvoit estre bonne, puisque la puissance d’un seul, deslors qu’il prend ce tiltre de maistre, est dure et desraisonnable ; il est allé adjouter tout au rebours,
Qu’un sans plus soit le maistre, et qu’un seul soit roy.
Il en faudrait davanture excuser Ulisse, auquel possible lors estoit besoin d’user de ce langage pour appaiser la revolte de l’armée conformant je croy son propos plus au temps qu’à la verité. Mais a parler a bon escient c’est un extreme malheur d’estre subjet a un maistre duquel on ne se peut jamais asseurer qu’il soit bon, puis qu’il est tousjours en sa puissance d’estre mauvais quand il voudra ; et d’avoir plusieurs maistres, c’est autant qu’on en a, autant de fois estre extremement malheureux. Si ne veux je pas pour ceste heure debattre ceste question tant pourmentée, si les autres façons de republique sont meilleures que la monarchie, ancor voudrois je scavoir avant que mettre en doute quel rang la monarchie doit avoir entre les republicques, si elle en y doit avoir aucun ; pource qu’il est malaisé de croire qu’il y ait rien de public en ce gouvernement ou tout est a, mais ceste question est reservée pour un autre temps et demanderoit bien son traité à part, ou plustost ameneroit quand et soy toutes les disputes politiques.
Pour ce coup je ne voudrois sinon entendre comm’il se peut fait que tant d’hommes, tant de bourgs, tant de villes, tant de nations