Le discours du savant est-il un discours scientifique ?
La science, vue de l’opinion, paraît une sombre accumulation de savoirs, théoriques et complexes mais que l’on perçoit comme importante, que l’on sait certainement utile, que l’on admire parfois ; des savoirs remplis de chiffres, de fonctions, de constantes, d’équations, bâtis sur un langage particulier, étranger. Tout cela est assimilé à un travail de « savant ». L’opinion est considérée comme ignorante, et le scientifique, doublement paré de savoir et de vérité, est celui qui comprend le monde et s’inscrit lui-même dans un monde strictement séparé de celui de l’opinion, un monde universitaire où s’entrechoquent des théories, où se débattent la composition de l’infiniment petit, l’avenir de la planète, les origines de l’être humain. Ce monde d’expert est celui des sciences « dures ». Le nom effraie, il contraste avec les sciences « humaines » : la sémantique participe d’une première délimitation de l’activité scientifique, entre ce qui est accessible, proche, compréhensible sans spécialisation et ce qui est lointain, dont on devine les implications mais dont les spécialisations absolues perdent le « profane » qui essaie de s’y insinuer. Il y a dans cette confrontation, a priori insurmontable, entre l’opinion et le domaine scientifique, un problème philosophique, peut-être un des débats philosophiques les plus actuels – en témoignent la popularité des nombreux ouvrages qui pensent la vulgarisation scientifique – et certainement les plus performatifs. Il faut penser le vide qui existe entre l’opinion et la science, penser cette séparation effective entre savants et in-savants, parce que la réflexion sur cette fracture saisit elle-même la définition que la philosophie essaie de donner à la science, au jugement qui doit déterminer la démarche scientifique, qui discrimine ce qui doit être considéré comme scientifique, et ce qui ne doit pas l’être. Le problème se noue donc autour du savant, dans ce que