Le doute
On annonce qu’un incendie a éclaté à la salle communautaire de mon village natal. J’interromps mon souper et m’approche du téléviseur pour mieux entendre.
Instantanément, un lointain souvenir refait la surface.
C’était une de ces rares journées caniculaires du mois d’août. Un soleil ardent plombait de tous ses feux sur la campagne asséchée. L’air suave et un calme plat régnait dans la grande cour circulaire où, à peine trois ans auparavant, les moteurs de la machinerie agricole faisaient entendre leur tintamarre. Je me souviens du branle-bas général: hommes, femmes et enfants contribuaient d’une façon ou d’une autre à la récolte de l’avoine.
Puis, mon père avait bifurqué vers le métier de forgeron, travail qu’il avait appris dans sa jeunesse. Il avait alors vendu toutes les terres et toute la machinerie de production et d’exploitation de la ferme. Seuls demeuraient, solides mais vides, les bâtiments qui délimitaient maintenant l’emplacement. À l’arrière de la maison, au fond à droite, un ancien poulailler à deux étages avait été converti en atelier de forge et de soudure. Complètement à gauche, le silo, la laiterie, l’étable et la grange formaient un complexe angulaire inutilisé.
Cette fin de matinée-là, dans l’atelier, on pouvait entendre la torche à couper le fer et le martèlement régulier de la masse. Mon père y oeuvrait déjà depuis quelques heures, et Paul, mon frère aîné, l’avait rejoint après le petit déjeuner pour l’aider à la rénovation d’une gigantesque remorque.
Un frère et quatre soeurs avaient trouvé du travail à l’usine de tapis de la ville la plus près. Ils étaient partis tôt comme d’habitude. Ma mère, quant à elle, s’accordait un moment de répit pour lire Le Devoir avant de cuisiner le repas du midi.
J’avais dix ans à cette époque. Six ans auparavant était né un garçon tout blond qui avait capté l’attention de tous. Je perdis alors tous mes privilèges de benjamine. Ce petit frère allait devenir l’enfant chéri de