La tragédie ne se conçoit pas sans une idée du bonheur aussi lointain soit-il, sans une aspiration au bien, à l’harmonie, à la résolution des conflits. Chez Corneille, cette aspiration conduit au dépassement de soi, à l’affirmation de la liberté de l’homme, fût-ce au prix de la vie. Polyeucte, martyr chrétien mis à mort par Rome, triomphe dans les paroles de l’empereur Sévère: "Sans doute vos chrétiens, qu’on persécute en vain / Ont quelque chose en eux qui dépasse l’humain." Chez Racine, le désir de bonheur conduit au désespoir, comme s’il n’y avait pas de salut à la portée de l’homme. On retrouve là sans doute des accents jansénistes, marque de son éducation à Port-Royal, mais on peut y voir aussi le signe d’une soumission à un pouvoir absolu, celui du monarque seul détenteur du bien de ses sujets. Le héros racinien n’est pas libre. La passion, figure du mal, ravage son âme. Dévastée par la jalousie, la haine, le remords, elle n’est plus qu’un champ de souffrance que nul remède ne peut apaiser. Les dieux sont trop lointains pour qu’on puisse se les concilier et la musique racinienne est celle d’un appel désespéré, déchirant, au seuil de la mort ou de la folie, au seuil de "l’éternelle nuit" (Andromaque, V, 5). Exaltante pour des âmes d'élite, tel Pascal (Les Provinciales), la doctrine janséniste qui a marqué profondément la pensée française pendant la seconde moitié du XVIIème siècle, fait du héros racinien un être traqué, épié, qui se sait condamné. Placé devant un choix d'autant plus cruel qu'il ne sait même pas si ce choix est nécessaire, il n'agit pas, il parle. Dès lors, la tragédie n'est pas un conflit, mais une crise, d'autant plus profonde qu'elle est étroitement limitée dans le temps et dans l'espace, selon les normes de la tragédie classique que Racine prend plaisir à respecter avec la plus extrème rigueur. Le héros ne peut ni y échapper ni éviter les conséquences de ses actes ou les exigences de sa nature. Le personnage de Phèdre est sans aucun