Le jeu de l'amour et du hasard
Silvia, Mario, Monsieur Orgon
Monsieur Orgon.
Eh bien, Silvia, vous ne nous regardez pas, vous avez l'air tout embarrassé.
Silvia.
Moi, mon père ! Et où serait le motif de mon embarras ? Je suis, grâce au ciel, comme à mon ordinaire ; je suis fâchée de vous dire que c'est une idée.
Mario.
Il y a quelque chose, ma sœur, il y a quelque chose.
Silvia.
Quelque chose dans votre tête, à la bonne heure, mon frère ; mais pour dans la mienne, il n'y a que l'étonnement de ce que vous dites.
Monsieur Orgon.
C'est donc ce garçon qui vient de sortir qui t'inspire cette extrême antipathie que tu as pour son maître ?
Silvia.
Qui ? Le domestique de Dorante ?
Monsieur Orgon.
Oui, le galant Bourguignon.
Silvia.
Le galant Bourguignon, dont je ne savais pas l'épithète, ne me parle pas de lui.
Monsieur Orgon.
Cependant on prétend que c'est lui qui le détruit auprès de toi, et c'est sur quoi j'étais bien aise de te parler.
Silvia.
Ce n'est pas la peine, mon père, et personne au monde que son maître, ne m'a donné l'aversion naturelle que j'ai pour lui.
Mario.
Ma foi, tu as beau dire, ma sœur, elle est trop forte pour être si naturelle, et quelqu'un y a aidé.
Silvia, avec vivacité.
Avec quel air mystérieux vous me dites cela, mon frère ; et qui est donc ce quelqu'un qui y a aidé ? Voyons.
Mario.
Dans quelle humeur es-tu, ma sœur, comme tu t'emportes !
Silvia.
C'est que je suis bien lasse de mon personnage, et je me serais déjà démasquée si je n'avais pas craint de fâcher mon père.
Monsieur Orgon.
Gardez-vous-en bien, ma fille, je viens ici pour vous le recommander ; puisque j'ai eu la complaisance de vous permettre votre déguisement, il faut, s'il vous plaît, que vous ayez celle de suspendre votre jugement sur Dorante, et de voir si l'aversion qu'on vous a donnée pour lui est légitime.
Silvia.
Vous ne m'écoutez donc point, mon père ! Je vous dis qu'on ne me l'a point donnée.
Mario.
Quoi, ce babillard qui vient de