le jeu de l'amour et du hasard
De « Si tu savais Lisette […] et tu ne te lèves point » (p. 55-57)
Extrait 2 : un duo amoureux entre Silvia et Dorante
Acte II, scène 9
DORANTE. – Si tu savais, Lisette, l'état où je me trouve...
SILVIA. – Oh, il n'est pas si curieux à savoir que le mien, je t'en assure.
DORANTE. – Que peux-tu me reprocher ? je ne me propose pas de te rendre sensible.
SILVIA, à part. – Il ne faudrait pas s'y fier.
DORANTE. – Et que pourrais-je espérer en tâchant de me faire aimer ? Hélas ! Quand même j'aurais ton cœur...
SILVIA. – Que le ciel m'en préserve ! Quand tu l'aurais, tu ne le saurais pas, et je ferais si bien, que je ne le saurais pas moi-même : tenez, quelle idée il lui vient là !
DORANTE. – Il est donc bien vrai que tu ne me hais, ni ne m'aimes, ni ne m'aimeras ?
SILVIA. – Sans difficulté.
DORANTE. – Sans difficulté ! Qu'ai-je donc de si affreux ?
SILVIA. – Rien, ce n'est pas là ce qui te nuit.
DORANTE. – Eh bien, chère Lisette, dis-le-moi cent fois, que tu ne m'aimeras point.
SILVIA. – Oh, je te l'ai assez dit, tâche de me croire.
DORANTE. Il faut que je le croie ! Désespère une passion dangereuse, sauve-moi des effets que j'en crains ; tu ne me hais, ni ne m'aimes, ni ne m'aimeras ! Accable mon cœur de cette certitude-là ! j'agis de bonne foi, donne-moi du secours contre moi-même, il m'est nécessaire, je te le demande à genoux. Il se jette à genoux. Dans ce moment, Monsieur Orgon et Mario entrent et ne disent mot.
SILVIA. – Ah, nous y voilà ! Il ne manquait plus que cette façon-là à mon aventure ; que je suis malheureuse ! C’est ma facilité qui le place là ; lève-toi donc, Bourguignon, je t'en conjure, il peut venir quelqu'un, je dirai ce qu'il te plaira, que me veux-tu ? Je ne te hais point, lève-toi, je t'aimerais si je pouvais, tu ne me déplais point, cela doit te suffire.
DORANTE. – Quoi, Lisette, si je n'étais pas ce que je suis, si j'étais riche, d'une condition honnête, et que je