Dans Le temps scellé, Andreï Tarkovski dit : "La liaison et la logique poétique au cinéma, voici ce qui m’intéresse. Et n’est-ce pas ce qui convient le mieux au cinéma, de tous les arts celui qui a la plus grande capacité de vérité et de poésie?" Aussi, il fait la métaphore d’un sculpteur qui sculpte le temps pour désigner le rôle du cinéaste, le fixant sur la pellicule. ("Tout comme un sculpteur, en effet, s’empare d’un bloc de marbre, et, conscient de sa forme à venir, en extrait tout ce qui ne lui appartiendra pas, de même le cinéaste s’empare d’un « bloc de temps »…") . Dans Le Miroir, film de 1975, il ne fait pas que répondre à cette question, il la met en pratique; aussi, voyageant entre "vérité et poésie", il "sculpte" littéralement le temps, faisant intervenir, s’entrechoquer, se bousculer différentes strates temporelles, et c’est bien sûr le cas dans ce que l’on va nommer « la séquence espagnole », située entre la séquence de dialogue entre Natalia et Alexeï et celle du dialogue entre Ignate et une femme inconnue.
Ayant étudié l’importance et le rôle des éléments sonores de cette séquence, nous allons nous demander en quoi le traitement du son et de l’image permet-il de lier intimement l’histoire d’un ou de plusieurs individus à l’Histoire, en l’occurrence ici, celle de la guerre civile espagnole?
La séquence débute par un dialogue entre Natalia et Alexeï à propos de leur fils, Ignate, présent mais muet. Natalia est présente à l’écran; filmée en plan rapproché épaules, sa voix est douce, audible et située sur le même plan sonore que celle d’Alexeï. En revanche, Alexeï est présent de par sa voix mais il est corporellement absent, et c’est d’ailleurs ce qui pose problème à ce moment-là de la séquence (et à de nombreuses reprises dans le films), car la frontière entre présence et absence est brouillée, c‘est clairement "la contrariété ouverte entre voix, agissante, et personne, absente, entre flux de parole et défection du sujet." Jamais présent à