le misanthrope de moliére
Acte IV Scène III : Passion et Jalousie.
Molière
Texte :
Alceste
1371. Ciel ! rien de plus cruel peut-il être inventé ?
1372. Et jamais coeur fut-il de la sorte traité ?
1373. Quoi ? d'un juste courroux je suis ému contre elle,
1374. C'est moi qui me viens plaindre, et c'est moi qu'on querelle !
1375. On pousse ma douleur et mes soupçons à bout,
1376. On me laisse tout croire, on fait gloire de tout ;
1377. Et cependant mon coeur est encore assez lâche
1378. Pour ne pouvoir briser la chaîne qui l'attache,
1379. Et pour ne pas s'armer d'un généreux mépris
1380. Contre l'ingrat objet dont il est trop épris !
1381. Ah ! que vous savez bien ici, contre moi-même,
1382. Perfide, vous servir de ma faiblesse extrême,
1383. Et ménager pour vous l'excès prodigieux
1384. De ce fatal amour né de vos traîtres yeux !
1385. Défendez-vous au moins d'un crime qui m'accable,
1386. Et cessez d'affecter d'être envers moi coupable ;
1387. Rendez-moi, s'il se peut, ce billet innocent :
1388. A vous prêter les mains ma tendresse consent ;
1389. Efforcez-vous ici de paraître fidèle,
1390. Et je m'efforcerai, moi, de vous croire telle.
Célimène
1391. Allez, vous êtes fou, dans vos transports jaloux,
1392. Et ne méritez pas l'amour qu'on a pour vous.
1393. Je voudrais bien savoir qui pourrait me contraindre
1394. A descendre pour vous aux bassesses de feindre,
1395. Et Pourquoi, si mon coeur penchait d'autre côté,
1396. Je ne le dirais pas avec sincérité.
1397. Quoi ? de mes sentiments l'obligeante assurance
1398. Contre tous vos soupçons ne prend pas ma défense ?
1399. Auprès d'un tel garant, sont-ils, de quelque poids ?
1400. N'est-ce pas m'outrager que d'écouter leur voix ?
1401. Et puisque notre coeur fait un effort extrême
1402. Lorsqu'il peut se résoudre à confesser qu'il aime,
1403. Puisque l'honneur du sexe, ennemi de nos feux,
1404. S'oppose fortement à de pareils aveux,
1405. L'amant qui voit pour lui franchir un tel