Une après-dînée que je me trouvais la , observant avec assez d’attention , parlant peu , et surtout écoutant le moins possible , je vis entrer dans le café un des êtres les plus étranges que la France ait jamais produits , quoique Dieu , dans sa bonté généreuse , ne nous laisse pas manquer d’originaux. Ce personnage est un composé bizarre de fierté et de bassesse , de bon sens et de déraison. Il faut que les idées de ce qui est honorable et, de ce qui est honteux a l’homme s’amalgament singulièrement dans sa tête , car il laisse voir toutes ses mauvaises sans pudeur. Du reste, il est d’une solide constitution , d’une imagination extraordinaire , et d’une force de poumons peu commune.S’il vient se placer près de vous, son originalité vous frappera ,et la curiosité vous retiendra prut-être ;mais vous n’y résisterez pas long-temps : vous serez forcé de vous en-fuir ou de vous boucher les oreilles. Dieux ! quel épouvantable braillard ! Rien ne lai ressemble moins que lui-même. Quelquefois il est maigre et défait comme un malade arrivé au dernier degré de la consomption ; on compterait ses dents à travers ses joues ; on dirait qu’il n’a pas mangé de huit jours , ou qu’il est toute frais revenu de la Trappe. Le mois d’après, il est dodu, replet , comme s’il n’avait pas quitté d’un seul moment la table d’un financier ,ou qu’on l’eût mis en pension chez les Bernardins. Au jourd’hui en ligne sale, l’habit en loques , les culottes déchirées ,sans souliers , marchant la tête baissée ,il se dérobe aux yeux des passans :on serait tenté de l’appeler pour lui faire l’aumône. Demain, bien vêtu, bien chaussé, coiffé, frisé, poudré , la tête haute , appelant sur lui les regards ; vous diriez un petit-maître allant en rendez-vous.