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Tout est orienté pour nous pousser à être attentifs au confort sous toutes ses formes.
Le matelas sur lequel on dort mieux, la brosse à dents avec dentifrice incorporé, la
Mousse à raser qui économise un effort, des gestes, des minutes d’un temps prétendu
Précieux, et laisse une impression de satisfaction détendue, l’allume-gaz qui évite de
Sortir une boîte d’allumettes, sans oublier les gadgets plus fondamentaux comme les
Cars climatisés, les trains-corail, les machines à laver aux vingt programmes, tout est
Destiné à notre satisfaction. Est-ce bon ou est-ce mauvais ?
Il n’est certainement pas mauvais, pour écrire, préparer un dossier technique,
Méditer sur les problèmes économiques, de disposer de conditions matérielles
Favorables. Il est bon pour un ingénieur, un avocat, un employé fatigué de sa journée,
De pouvoir se reposer dans un bon fauteuil, de dormir au calme sur un matelas de
Rêve. Pour être au mieux de sa forme, un minimum de confort est utile…
Mais si la pensée du confort, entretenue à coups de slogans publicitaires, devient
Une fin en soi, alors c’est un élément de décadence¹. Je suis persuadé d’ailleurs que
Beaucoup de jeunes le savent, ou le pressentent, d’où leur inquiétude devant
L’évolution de notre monde. Leur attitude de rejet n’est pas entièrement négative. Elle
S’accompagne de la découverte de valeurs nouvelles d’une grande importance. Les
Contraintes que l’on refuse lorsqu’elles apparaissent liées au “système”² ou même aux
Traditions, on les accepte entre soi pour venir en aide aux camarades dans la peine ou
Dans le besoin ou encore pour une cause que l’on juge importante, et pour laquelle on
Acceptera de lutter.
Car le confort brise les amères, crée des égoïsmes redoutables et stérilisants. Il
Amollit, ronge le caractère, détruit l’idéal. Et un pays qui n’a plus un grand idéal est
Condamné.
Louis Leprince-Ringuet
Le Grand M… ou l’espoir pour demain,
Flammarion, 1978
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