Le Pin des Landes
Théophile Gautier, « Le Pin des Landes »
Commentaire
par Romain Vignest
Si la seconde génération romantique, celle qui naquit autour de 1810 et que caractérise, selon Paul Bénichou, son « désenchantement », affrontée à l’hostilité du réel, renonça aux prétentions prophétiques de ses aînés, elle n’en conserva pas moins une très haute idée du rôle de l’artiste. « Le Pin des Landes », publié dès 1840 dans La Presse avant d’être inséré dans
España en 1845, en témoigne : Théophile Gautier y représente et y manifeste l’ambition poétique dans un monde désolé. En effet, l’émouvante personnification du pin se présente finalement comme une allégorie de la fonction du poète.
LE PIN DES LANDES
On ne voit, en passant par les Landes désertes,
Vrai Sahara français, poudré de sable blanc,
Surgir de l’herbe sèche et des flaques d’eaux vertes
D’autre arbre que le pin avec sa plaie au flanc ;
Car pour lui dérober ses larmes de résine,
L’homme, avare bourreau de la création,
Qui ne vit qu’aux dépens de ceux qu’il assassine,
Dans son tronc douloureux ouvre un large sillon !
Sans regretter son sang qui coule goutte à goutte,
Le pin verse son baume et sa sève qui bout,
Et se tient toujours droit sur le bord de la route,
Comme un soldat blessé qui veut mourir debout.
Le poète est ainsi dans les Landes du monde ;
Lorsqu’il est sans blessure, il garde son trésor.
Il faut qu’il ait au cœur une entaille profonde
Pour épancher ses vers, divines larmes d’or !
Le pin de Gautier est humain et sa haute humanité s’éprouve par le scandale de sa souffrance et la générosité (à tous les sens du terme) de son attitude.
Observons tout d’abord que la personnification du pin est de plus en plus affirmée jusqu’à la comparaison avec le poète au dernier quatrain. Dans un premier temps, le pin n’apparaît que comme un arbre, jusqu’à ce qu’au quatrième vers le poète utilise à son propos les mots
« plaie » et « flanc » qui devraient caractériser un être animé (animal ou