Le pont mirabeau apollinaire
On peut imaginer qu’un jour, passant la Seine sur le pont Mirabeau, le poète s'accouda au parapet et s'absorba dans la contemplation d’une eau paresseuse. Le lieu étant évocateur de l'amour qui l’avait uni à Marie Laurencin, il lui parle : «Je me rappelle nos amours. Pourquoi faut-il que je me souvienne de cette heureuse époque? J'y connaissais parfois la peine, il est vrai ; mais, au moins, à la différence de celle que j'éprouve aujourd'hui, cette peine n'était pas irrémédiable ; elle était suivie de joie.» Dans le premier vers, qui est banal, le poète décrit sur un ton tout à fait objectif le mouvement de l'eau de la Seine qui coule sous le pont Mirabeau. Le vers suggère en même temps une permanence, car, malgré la fuite de l'eau, la Seine reste toujours la Seine. L'image du pont, opposée à celle de l'eau qui coule, souligne aussi l'antithèse entre la fuite et la durée. Vu ainsi, le premier vers fait pressentir une des idées directrices du poème : celle de la fuite du temps et de l'amour d'un côté, et, de l’autre, du désir de permanence qu'éprouve le poète. Si ce premier vers est tout objectif dans sa constatation de la réalité extérieure, le deuxième surprend par la transition qu'il effectue au monde de la subjectivité. S’impose l’importance du souvenir et de l'idée d'amour, plutôt que des personnes qu'il représente. La disposition typographique de cette partie du décasyllabe signale l'élément nouveau que le vers introduit dans le poème et met en relief le mot-clef «amours». L'adjectif possessif «nos» fait apparaître dans le décor du premier vers celui qui parle et la femme aimée, ou, d'un point de vue général, il place dans le décor n'importe quel couple d'amoureux, que ce soit le poète et une femme aimée ou le lecteur et la personne qu'il aime. Du fait de la suppression de la ponctuation et de la présence de la conjonction «et», on peut d’abord croire que le verbe «coule» a deux sujets : «la Seine» d'abord ; puis, charriés par le fleuve,