Le progrès e la technique entrainent il plus de justice e
Certains courent plus vite que d'autres, mais nul ne peut courir plus vite qu'un véhicule à moteur. Certains sont plus doués que d'autres en calcul mental, mais nul ne sait multiplier aussi vite qu'une calculette. Les objets techniques non seulement étendent notre pouvoir, mais tendent aussi à réduire les inégalités naturelles et à tous nous placer sur un pied d'égalité : là où ils disposent d'une technique accessible à chacun, quels que soient leurs talents propres ou leurs dons de naissance, les hommes semblent partir avec des chances égales de succès. Or telle est la définition minimale que l'on pourrait donner de la justice : donner des parts égales à chacun. La technique, en ceci qu'elle permet de dépasser les inégalités de naissance, semble donc participer au progrès de la justice : certains naissent avec un physique plus disgracieux que d'autres, ce qui était à coup sûr une injustice ; maintenant que nous avons les techniques pour remédier aux difformités du corps, chacun peut se payer le luxe d'être beau, ou du moins d'avoir le corps qu'il aurait voulu que la nature lui donnât.
Est-ce cependant aussi simple ? D'une part, la technique semble tout simplement remplacer les inégalités naturelles par des inégalités d'un autre ordre. Nul ne court plus vite qu'une automobile, mais certaines automobiles vont plus vite que d'autres, celles qui, précisément, coûtent plus cher que les autres. Chacun peut désormais avoir le corps qu'il veut, à condition de pouvoir se le payer. N'avons-nous pas simplement ici remplacé les inégalités de nature par des inégalités d'ordre social ou économique ?
Plus profondément, ne faut-il pas penser au contraire que les progrès de la technique accroissent notre sentiment d'injustice, au lieu de le résorber ? Il y a peu de temps, chacun naissait avec le corps qui était le sien ; certains étaient plus beaux que d'autres, mais personne n'était pour quelque chose dans cette différence, en sorte qu'il s'agissait peut-être