Le préfet
Le préfet Yin
Je n’ai rencontré le préfet Yin que deux fois seulement, mais je ne l’oublierai jamais. Durant l’automne de 1966, je m’étais rendu de Pékin à Xi’an, et je logeais chez un ami, un certain Wu. A cette époque, le fils unique de Wu était devenu Garde rouge. C’était un gosse en deuxième année de lycée, mais il était tout gonflé de son importance et se gargarisait de ronflants mots d’ordre révolutionnaires, du genre "défendons le président Mao" et autres " on a raison de se rebeller ". Il était tellement fier de sa vareuse verte d’uniforme militaire qu’il ne pouvait se résoudre à l’ôter, fût-ce le temps d’une lessive, si bien que le col et les manches en étaient devenus tout luisants de crasse. Il arborait son large brassard de Garde rouge d'une manière particulièrement voyante; à tout propos, il se campait le poing sur la hanche pour forcer la galerie à contempler l’emblème de son autorité.
A ce moment, avec un compagnon, il s’apprêtait à se rendre à Xingan, dans le sud de la province, pour y "allumer les flammes de la révolution". A ce qu’il paraissait, cette région-là était politiquement retardataire; elle n’avait même pas une seule organisation de Gardes rouges, aussi le quartier général du mouvement à Xi’an avait-il décidé d’y envoyer deux cadres énergiques pour mettre les choses en route. Le petit Wu s’était porté volontaire pour cette mission. Il était lui-même originaire de Xingan qu’il avait quitté à l’âge de douze ans pour venir habiter Xi’an avec ses parents. Cette expédition allait donc lui permettre de combiner tout à la fois le service de la révolution et la satisfaction de son intérêt, puisqu’il allait ainsi pouvoir revisiter le théâtre de sa petite enfance où il comptait encore un certain nombre de parents et d’amis. Mais, bien entendu, à cette époque-là, ces considérations d’ordre privé ne pouvaient être mentionnées, elles lui auraient valu une dénonciation immédiate: c'était précisément le moment