Le Rapport de Brodeck, c'est aussi un conte. La nature y fait figure d'univers : les mares s'étendent, les combes dissimulent des secrets. Claudel sourit : ce pourrait être un roman de la montagne : les Vosges près desquelles il a grandi, et parce que les montagnes de Brodeck sont l'endroit le plus proche du ciel et paradoxalement le moins pur. Conte de l'errance : Brodeck, privé de patrie, met longtemps avant de trouver son pays, pays qui le rejettera. Derrière le personnage, il y a toujours Claudel : le chez-soi devenait le roman, confie-t-il. L'auteur voyage beaucoup, et au fil de ses déplacements, il prend conscience que c'était presque une maison ce livre. Fable des confins, maison de pain d'épices, maison en papier, le conte s'invite dans le réel. Brodeck est aussi une voix qui tisse des légendes du fond des temps : il est Orphée revenu des Enfers, guidée par Emélia, sa muette Eurydice. Comme dans les récits initiatiques, Claudel met les femmes au centre dans la mesure où ce sont elles qui étoilent les hommes, qui les guident. L'auteur le revendique, [s]a littérature est tragique, mais jamais pessimiste : elle montre comment une humanité peut s'orienter vers la lumière, au travers d'une amitié, d'une relation dans laquelle deux êtres isolés peuvent reconstruire quelque chose ensemble. Mais du conte, Le Rapport de Brodeck présente aussi le côté sombre : les portraits exposés dans la salle de l'auberge sont des rapports en image : leur précision évoque les tableaux de Bruegel, ses scènes de ripaille et ses monstres