Le rire irrévérencieux corpus
Corpus :
Document 1 : Voltaire, article « Rire », extrait du Dictionnaire Philosophique (1764)
Document 2 : Alain Vaillant, extrait des actes du colloque sur le rire (2009), université Paris Ouest.
Document 3 : Umberto Eco, Le Nom de la Rose (1982), Septième jour.
Document 4 : Louis-Philippe métamorphosé en poire par Charles Philipon (1831)
Document 1
RIRE
Que le rire soit le signe de la joie comme les pleurs sont le symptôme de la douleur, quiconque a ri n’en doute pas. Ceux qui cherchent des causes métaphysiques au rire ne sont pas gais : ceux qui savent pourquoi cette espèce de joie qui excite le ris retire vers les oreilles le muscle zygomatique, l’un des treize muscles de la bouche, sont bien savants. Les animaux ont ce muscle comme nous ; mais ils ne rient point de joie, comme ils ne répandent point de pleurs de tristesse. Le cerf peut laisser couler une humeur de ses yeux quand il est aux abois, le chien aussi quand on le dissèque vivant ; mais ils ne pleurent point leurs maîtresses, leurs amis, comme nous ; ils n’éclatent point de rire comme nous à la vue d’un objet comique : l’homme est le seul animal qui pleure et qui rie.
Comme nous ne pleurons que de ce qui nous afflige, nous ne rions que de ce qui nous égaye : les raisonneurs ont prétendu que le rire naît de l’orgueil, qu’on se croit supérieur à celui dont on rit. Il est vrai que l’homme, qui est un animal risible, est aussi un animal orgueilleux ; mais la fierté ne fait pas rire ; un enfant qui rit de tout son coeur ne s’abandonne point à ce plaisir parce qu’il se met au-dessus de ceux qui le font rire ; s’il rit quand on le chatouille, ce n’est pas assurément parce qu’il est sujet au péché mortel de l’orgueil. J’avais onze ans quand je lus tout seul, pour la première fois, l’Amphitryon de Molière ; je ris au point de tomber à la renverse ; était-ce par fierté ? On n’est point fier quand on est seul. Était-ce par fierté que le maître de l’âne d’or se mit tant à rire