Le rire peut-il faire rire tout le monde ?
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« La nature, dit Kant, évoque surtout les idées du sublime par le spectacle du chaos, des désordres les plus sauvages et de la dévastation, pourvu qu’elle y manifeste de la grandeur et de la puissance » (Critique du jugement, §23). Dévastation, grandeur et puissance : il n’y a vraiment pas de quoi rire. Dans le cas du sublime dynamique, Kant va jusqu’à dire que le sublime a toujours quelque chose de terrible et que, s’il ne l’excite pas directement, il évoque du moins la crainte. « Des rochers audacieusement surplombants et comme menaçants, des nuages orageux se rassemblant dans le ciel et s’avançant au milieu des éclairs et du tonnerre, des volcans dans toute leur puissance de destruction, des ouragans semant après eux la dévastation, l’immense océan soulevé par la tempête... » (§28). Voilà qui n’est guère réjouissant. Celui qui rirait à de pareils spectacles nous ferait l’effet d’un dément, et l’exaltation dont Kant nous dit qu’elle nous fait éprouver, à travers l’humiliation de nos sens et de notre capacité représentative, un infini pouvoir de résistance et une supériorité sur toute la nature, n’a rien de foncièrement comique non plus. On le sait bien, le sublime demeure une présentation négative de l’infini, même si l’imagination s’y trouve « illimitée par cela même qu’on lui enlève ses bornes ». Circulez, rien à voir. Imagination déchaînée, précise Kant, mais non déréglée. Le sublime pointe seulement en direction de notre destination spirituelle ; il suggère, mais justement sans pouvoir rien en présenter positivement, le caractère impénétrable de l’idée de liberté qui est au fondement de l’austère moralité. Enthousiasme retenu, donc, sans transport ni démence, et cependant toujours suspect de révéler trop de complaisance à l’égard des forces de la nature auxquelles notre premier mouvement est de nous identifier