Le roseau et le chêne
Le Chêne un jour dit au Roseau :
" Vous avez bien sujet d’accuser la Nature ;
Un Roitelet pour vous est un pesant fardeau.
Le moindre vent, qui d’aventure
Fait rider la face de l’eau,
Vous oblige à baisser la tête :
Cependant que mon front, au Caucase pareil,
Non content d’arrêter les rayons du soleil,
Brave l’effort de la tempête.
Tout vous est Aquilon, tout me semble Zéphyr.
Encor si vous naissiez à l’abri du feuillage
Dont je couvre le voisinage,
Vous n’auriez pas tant à souffrir :
Je vous défendrais de l’orage ;
Mais vous naissez le plus souvent
Sur les humides bords des Royaumes du vent.
La nature envers vous me semble bien injuste.
- Votre compassion, lui répondit l’Arbuste,
Part d’un bon naturel ; mais quittez ce souci.
Les vents me sont moins qu’à vous redoutables.
Je plie, et ne romps pas. Vous avez jusqu’ici
Contre leurs coups épouvantables
Résisté sans courber le dos ;
Mais attendons la fin. " Comme il disait ces mots,
Du bout de l’horizon accourt avec furie
Le plus terrible des enfants
Que le Nord eût portés jusque-là dans ses flancs.
L’Arbre tient bon ; le Roseau plie.
Le vent redouble ses efforts,
Et fait si bien qu’il déracine
Celui de qui la tête au Ciel était voisine
Et dont les pieds touchaient à l’Empire des Morts. |
Annonce des axes de lecture
La Fontaine nous entretient ici d’une fable à morale implicite.
Le Chêne et le Roseau font office de 2 personnages opposés, le fort face au faible. Mais ici, La Fontaine renverse les rôles et bafoue son dogme au profit d’une fin peu commune à ses vers. Le problème est alors de savoir comment Jean de La Fontaine réussit-il à controverser sa morale habituelle, au profit d’une morale toute opposée.
Pour cela, nous utiliserons trois axes d’étude: la parole du chêne, la parole du roseau puis la morale.
I.La parole du chêne :
Dès le vers 2, le chêne engage le dialogue. Il y a alors déjà une notion de domination, par l’initiative de la parole.