Le songe de platon, voltaire
SONGE DE PLATON
Dans ce conte, Voltaire imagine que Démiourgos, le dieu créateur, a chargé ses aides de créer et d'organiser les planètes. L'un d'eux,
Démogorgon, a reçu la terre en partage.
Démogorgon eut en partage le morceau de boue qu'on appelle la terre et, l'ayant arrangé de la manière qu'on le voit aujourd'hui, il prétendait avoir fait un chef-d'oeuvre. Il pensait avoir subjugué l'envie, et attendait des éloges même de ses confrères ; il fut bien surpris d'être reçu d'eux avec des huées.
L'un d'eux, qui était un fort mauvais plaisant, lui dit : "Vraiment vous avez fort bien opéré ; vous avez séparé votre monde en deux, et vous avez mis un grand espace d'eau entre les deux hémisphères, afin qu'il n'y eût point de communication de l'un à l'autre. On gèlera de froid sous vos deux pôles, on mourra de chaud sous votre ligne équinoxiale. Vous avez prudemment établi de grands déserts de sables, pour que les passants y mourussent de faim et de soif. Je suis assez content de vos moutons, de vos vaches, et de vos poules ; mais franchement je ne le suis pas trop de vos serpents et de vos araignées. Vos oignons et vos artichauts sont de très bonnes choses ; mais je ne vois pas quelle a été votre idée en couvrant la terre de tant de plantes venimeuses, à moins que vous n'ayez eu le dessein d'empoisonner ses habitants. Il me paraît d’ailleurs que vous avez formé une trentaine d'espèces de singes, beaucoup plus d'espèces de chiens, et seulement quatre ou cinq espèces d’hommes : il est vrai que vous avez donné à ce dernier animal ce que vous appelez la raison ; mais, en conscience, cette raison-là est trop ridicule, et approche trop de la folie. Il me paraît d'ailleurs que vous ne faites pas grand cas de cet animal à deux pieds, puisque vous lui avez donné tant d'ennemis et si peu de défense, tant de maladies et si peu de remèdes, tant de passions et si peu de sagesse. Vous ne voulez pas apparemment qu'il