Le temps
12Lorsqu’il n’est pas pressé par ses besoins, il l’est du moins par ses désirs ; car parmi tous les biens qui l’environnent, il n’en voit aucun qui soit entièrement hors de sa portée. Il fait donc toutes choses à la hâte, se contente d’à peu près et ne s’arrête jamais qu’un moment pour considérer chacun de ses actes. Sa curiosité est tout à la fois insatiable et satisfaite à peu de frais ; car il tient à savoir vite, beaucoup, plutôt qu’à bien savoir. Il n’a guère le temps et il perd bientôt le goût d’approfondir. (Tocqueville, 1986, cité dans Aubert 2003 : 273)
13Auriez-vous deviné à la lecture de ce portrait qu’il date de 1831 ? Assurément pas, tellement il est criant d’actualité. Pourtant, c’est bien Alexis de Tocqueville qui en est l’auteur à la suite de son voyage en Amérique au XIXe siècle. Il faut dire que nous n’avons jamais tenu compte des mises en garde des nombreux penseurs visionnaires qui tentaient de nous alerter sur les conséquences de cette « extase de la vitesse » (Kundera, 1995). Johann W. von Goethe, dès 1825, « critique de manière prophétique l’emprise moderne de la science et cet âge démoniaque de la vitesse » qu’il qualifie de « vélociférique » (Lacoste, 2000), tandis qu’en 1880 Friedrich Nietzsche observe l’émergence d’une culture « de la précipitation, de l’empressement indécent et transpirant, exigeant que tout soit fait tout de suite » (cité dans Honoré, 2005 : 36).
14Pour Jean Baudrillard (2001), la vitesse nous amène au vide :
La vitesse est le triomphe de l’effet sur la cause, le triomphe de l’instantané sur le temps comme profondeur, le triomphe de la surface et de l’objectalité pure sur la profondeur du désir. […] Triomphe de l’oubli sur la mémoire, ivresse inculte, amnésique. Superficialité et réversibilité d’un objet pur dans la géométrie pure du désert.
15Et, pourtant, nous nous glorifions en France du fait que le TGV (train à grande vitesse) vient de battre un nouveau record de vitesse