Le travail
Si le travail désigne l'action d’utiliser les processus naturels à son profit, la manière d'opérer cette utilisation se nomme technique. Le travail du boucher consiste à découper les bestiaux ; la méthode qu'il suit pour opérer la découpe constitue sa technique. Aussi travail et technique se répondent-ils intimement. Celle-ci s'élabore par celui-là à l'issue d'une série d'essais plus ou moins réussis (une technique de chasse s'invente en... chassant), pendant que le premier s'accomplit par la seconde.
Dans ce sens très large, on pourrait considérer que les animaux, eux aussi, travaillent et emploient des techniques : le faucon nourrissant ses petits, la meute de loups employant une stratégie d'encerclement d'une proie, accomplissent bel et bien des actions utiles grâce à des techniques en partie instinctives, et en partie dictées par les impératifs du terrain. Pourtant, entre action animale et travail humain, il existe une différence essentielle.
Le travail est de prime abord un acte qui se passe entre l’homme et la nature. L’homme y joue lui-même vis-à-vis de la nature le rôle d’une puissance naturelle. Les forces dont son corps est doué, bras et jambes, têtes et mains, il les met en mouvement, afin de s’assimiler des matières en leur donnant une forme utile à sa vie. En même temps qu’il agit par ce mouvement sur la nature extérieure et la modifie, il modifie sa propre nature, et développe ces facultés qui y sommeillent. […] Une araignée fait des opérations qui ressemblent à celles du tisserand, et l’abeille confond par la structure de ses cellules de cire l’habileté de plus d’un architecte. Mais ce qui distingue dès l’abord le plus mauvais architecte de l’abeille la plus experte, c’est qu’il a construit la cellule dans sa tête avant de la construire dans la ruche. Le résultat auquel le travail aboutit, préexiste idéalement dans l’imagination du travailleur. Ce n’est pas qu’il opère seulement un changement de