Le voyage
« L’idée lui est venue un soir de novembre. Nous buvions une bière dans un bar, face au beffroi d’une ville du Nord. Elle a dit : « Et si je devenais étrangère ? » Des jeunes juchés sur leurs tabourets discutaient de foot. Dehors, il pleuvait. « Si je revenais ici, seule, en hiver ? Je ne connais personne ici. Est-ce que je rencontrerais des gens ?»
L’auteur
"À la table du café nous avons échafaudé notre projet. Elle resterait sept semaines. Elle dénouerait ses liens antérieurs. Elle serait seule. Elle n’appellerait personne à Paris. Elle serait simplement là, disponible aux rencontres. Qui rencontrerait-elle ? Peut-être personne. Elle verrait bien. Ce serait une parenthèse, une friche, un terrain vague dans l’organisation de sa vie et de son travail. Elle enregistrerait sur un dictaphone ses impressions de voyage. Le dernier soir de son séjour, elle organiserait une fête avec les inconnus rencontrés durant ces sept semaines. J’écrirais un spectacle à partir de ses récits.
En janvier, un mois avant son départ, nous avons divorcé. Nous avions vécu, voyagé, et travaillé ensemble durant quatorze ans. Cela faisait déjà deux ans que nous ne vivions plus ensemble. Nous avons été convoqués au Palais de Justice de Paris. Nous sommes entrés l’un après l’autre dans le petit bureau d’un juge. Devant le magistrat des piles de dossiers -probablement semblables au nôtre -. J’ai répondu par oui et par non aux questions du juge. En sortant du Palais de Justice, nous sommes allés dans un salon de thé japonais. Nous avons commandé des gâteaux aux châtaignes. Bu du thé vert. Elle m’a confié que son rêve était de retourner en province, d’avoir des enfants, une vie normale.
Elle est partie dans le Nord.
Tous les trois jours environ, je trouvais sous mon paillasson un colis expédié de là-bas. Je l’ouvrais. Enveloppés dans les pages déchirées de La Voix du Nord, des mini-cassettes. Je les écoutais. Je passais environ quatre heures par jour à retranscrire ses longs