les aventures de sherlock holmes
Doyle
LES
AVENTURES
DE SHERLOCK
HOLMES
Juillet 1891 – Juin 1892
UN SCANDALE
EN BOHÊME
{1 }
I
Pour Sherlock Holmes, elle est t o u j o u rs la femme. Il la juge tellement supérieure à tout son sexe, qu’il ne l’appelle presque jamais par son nom ; elle est et elle restera la femme.
Aurait-il donc éprouvé à l’égard d’Irène Adler un sentiment voisin
de l’amour ? Absolument pas ! Son esprit lucide, froid, admirablement équilibré répugnait à toute émotion en général et à celle de l’amour en particulier. Je tiens Sherlock
Holmes pour la machine à observer et à raisonner la plus parfaite qui ait existé sur la planète ; amoureux, il n’aurait plus été le même. Lorsqu’il parlait des choses du cœur, c’était toujours pour les assaisonner d’une pointe de raillerie ou d’un petit rire ironique. Certes, en tant qu’observateur, il les appréciait : n’est-ce pas par le cœur que s’éclairent les mobiles et les actes des créatures humaines ? Mais en
tant que logicien professionnel, il les répudiait
:
dans un tempérament aussi délicat, aussi subtil que le sien, l’irruption d’une passion aurait introduit un élément de désordre dont aurait pu pâtir la rectitude de ses déductions. Il s’épargnait donc les émotions fortes, et il mettait autant de soin à s’en tenir à l’écart qu’à éviter, par exemple de fêler l’une de ses loupes ou de semer des grains de poussière dans un instrument de précision.
Telle était sa nature. Et pourtant une femme l’impressionna : la femme, Irène Adler, qui laissa néanmoins un souvenir douteux et
discuté.
Ces derniers temps, je n’avais pas beaucoup vu Holmes. Mon mariage avait séparé le cours de nos vies.
Toute mon attention se trouvait absorbée par mon bonheur personnel, si complet, ainsi que par les mille petits soucis qui fondent sur l’homme qui se crée un vrai foyer. De son côté, Holmes s’était isolé dans notre meublé de Baker
Street ; son goût pour la bohème