Les aveugles
Comme chez Beckett (la référence est incontournable), les personnages sont affligés d’une infirmité irrémédiable, ici la cécité. Non seulement l’homme est seul dans l’univers, mais en plus il est aveugle. La non-voyance est le symbole de la coupure avec le monde extérieur et l’affirmation de l’inadaptation de l’homme dans son univers. C’est une reprise originale de la fable platonicienne de la caverne : l’homme ne perçoit dans sa grotte qu’un reflet déformé du monde. Or, dans Les Aveugles, les personnages sont en plus privés de l’image. Ils ne perçoivent que les bruits, ce qui rend le monde encore plus hostile et désespéré.
L’auteur, tout d’abord, crée une ambiance particulièrement adaptée à l’angoisse.
D’une part, les personnages sont ici atteints d’une cécité irrémédiable et absolue qui les handicape profondément. En effet, leur perception du monde extérieur, même s’ils usent d’un champ lexical très visuel « vois-tu », « il voit », se limite ici à des « bruit[s] » inquiétants qu’ils interprètent sans avoir aucune certitude quant à leur origine. L’enfant enfin, seul capable de les guider, est trop apeuré pour communiquer, il « pleure », et la tension s’en voit renforcée. Le cadre imposé aux aveugles est donc une importante source d’angoisse. D’autre part, l’absence d’information et de précisions quant au lieu, à l’identité des personnages et à l’époque plongent protagonistes et spectateurs dans un cadre vide de repères. Les didascalies sont rares et l’énonciation particulièrement floue : aucun nom n’est évoqué, les personnages sont seulement différenciés par leur âge, leur genre et l’origine de leur cécité ; certains sont « aveugles-né[s] », d’autres sont vieux ou « vieilles » mais aucun n’est précisément identifié. Le rythme de la pièce contribue également au malaise. Effectivement, l’action est ici inexistante, les personnages, constamment dans l’attente, demeurent dans un vide