Les corrections de balzac
L'imprimerie était prête et frappait du pied comme un coursier bouillant.
M. de Balzac envoie aussitôt deux cents feuillets crayonnés en cinq nuits de fièvre. On connaît sa manière. C'était une ébauche, un chaos, une apocalypse, un poème hindou. L'imprimerie pâlit. Le délai est bref, l'écriture inouïe. On transforme le monstre, on le traduit à peu près en signes connus. Les plus habiles n'y comprennent rien de plus. On le porte à l'auteur. L'auteur renvoie les deux premières épreuves collées sur d'énormes feuilles, des affiches, des paravents !
C'est ici qu'il faut frémir et avoir pitié. L'apparence de ces feuilles est monstrueuse. De chaque signe, de chaque mot imprimé part un trait de plume qui rayonne et serpente comme une fusée à la congrève, et s'épanouit à l'extrémité en pluie lumineuse de phrases, d'épithètes et de substantifs soulignés, croisés, mêlés, raturés, superposés ; c'est d'un aspect éblouissant.
Imaginez quatre ou cinq cents arabesques de ce genre, s'enlaçant, se nouant, grimpant et glissant d'une marge à l'autre, et du sud au septentrion. Imaginez douze cartes de géographie enchevêtrant a la fois villes, fleuves et montagnes. Un écheveau brouillé par un chat, tous les hiéroglyphes de la dynastie de Pharaon, ou les feux d'artifice de vingt réjouissances.
A cette vue, l'imprimerie se réjouit peu.
Les compositeurs se frappent la poitrine, les presses gémissent, les protes s'arrachent les cheveux, les apprentis perdent la tête.
Les plus intelligents abordent les épreuves et reconnaissent du persan, d'autres l'écriture madécasse, quelques-uns les caractères symboliques de Whisnou. On travaille à tout hasard et à la grâce de Dieu.
Le lendemain, M. de Balzac renvoie deux feuilles de pur chinois. Le délai n'est plus que de quinze jours. Un prote généreux offre de se