Les faux-monnayeurs à la recherche de formes nouvelles sabine sellam
Sabine Sellam
À
l’aube du XXe siècle, le roman, après avoir connu une ascension extraordinaire sous l’impulsion des Naturalistes, traverse une crise profonde1. Les Symbolistes puis les Surréalistes condamnent radicalement le genre, lui préférant la poésie. André Gide s’y essaye pourtant, mais dans une perspective déconstructiviste. Ce sont d’abord Les Cahiers d’André Walter (1891), Le Voyage d’Urien (1892), et Paludes (1895), puis Le Prométhée mal enchaîné (1898), L’Immoraliste (1901), La Porte étroite (1909), qu’il appelle “romans” avant de les répartir en “soties” et “récits”. Avec Les Caves du Vatican (1914), Gide pense s’être approché au plus près de l’idée qu’il se fait du roman, comme d’une œuvre “déconcentrée” (Projet de préface à Isabelle, Œuvres complètes VI, p. 361), mais sa tonalité et son style sont trop ironiques pour appartenir au genre tel qu’il le conçoit. Toutefois, il annonce, en épigraphe à cette “sotie”, la préparation d’un roman intitulé Le Faux-Monnayeur, rebaptisé, en 1925, Les Faux-Monnayeurs, par modification significative du singulier en pluriel. Les Faux-Monnayeurs sont donc son “premier roman”, comme il l’écrit dans la dédicace à Roger Martin du Gard. Dans cette œuvre autocritique, il réfléchit intensément sur le genre du roman, en rejette d’emblée les exigences classiques et sort de la vulgate traditionaliste de l’époque en adoptant une forme subversive : coexistence de multiples ingrédients romanesques, de multiples intrigues et personnages, de multiples techniques énonciatives.
91 Les Faux-Monnayeurs : à la recherche de formes nouvelles
Il s’agit donc de mesurer comment Les Faux-Monnayeurs, qui s’inscrivent dans une période de crise et d’aspiration à l’ébranlement ou à la déconstruction du genre traditionnel, parviennent à le transcender au moyen d’une écriture novatrice. Une fois mis en évidence le caractère protéiforme de l’œuvre, on peut montrer, sur la base