Les hommes peuvent-ils se passer de religion?
Les phénomènes religieux étant, par nature, des phénomènes publics, c'est en effet d'abord sous un angle collectif que la question doit être abordée. Il n'y a pas, à proprement parler, de religion privée. C'est un point essentiel que même un auteur aussi réducteur que Freud avait bien compris lorsque, au lieu de décrire la religion comme une névrose universelle, c'est-à-dire un trouble individuel agrandi à la dimension de l'humanité, il définissait la névrose obsessionnelle comme une « religion déformée », c'est-à-dire une « formation asociale » qui cherche « à réaliser avec des moyens particuliers ce que la société réalise par le travail collectif2 ». On ne saurait mieux reconnaître que la religion est avant tout une institution. L'auteur de Totem et tabou avait, on le sait, de bonnes lectures — Tylor, Robertson Smith, Frazer, Durkheim, entre autres — auxquelles il est toujours bon de se reporter, ne serait-ce que pour baliser le champ de notre enquête.
Qu'est-ce, en effet, qu'une religion ? Comme l'ont montré les fondateurs de l'anthropologie, dont Durkheim résume la leçon, un système d'interdits et de
1R. Girard, La Violence et le sacré, Paris, Grasset, 1972, p. 52.
2Freud, Totem et tabou, trad. S.