Les lestrygons
Ulysse et ses compagnons arrivent chez les Lestrygons après une traversée dont l'aède a pris soin de nous indiquer la durée : six jours (X, 80). Le chiffre mérite d'autant plus d'être examiné qu'il est rare ; il n'est invoqué, en fait, qu'en cas de malheur. Polyphème mange six compagnons, Skylla en enlève six autres (XII, 245-6). Sur l'île d'Hélios où ils ont commis le sacrilège, les compagnons d'Ulysse festoient pendant six jours (XII, 397) avant que la tempête ne les punisse définitivement. Il semblerait que ce soit un nombre particulièrement maléficié 19 qui annoncerait puis confirmerait la grande catastrophe subie chez les Lestrygons.
Nous ne saurions nous étonner de nous trouver en face d'un nombre inquiétant qui laisse présager des explosions de violence, si nous reconnaissons qu'Ulysse arrive dans le signe zodiacal particulièrement ravageur du Lion. Souvenons-nous, en effet, que pour les Anciens ce signe n'était pas lié aux vacances estivales, mais à la canicule brûlante et féroce.
Dès l'abord s'élève une difficulté considérable, à propos de laquelle la critique a dépensé beaucoup d'ingéniosité. Il s'agit des vers 83-86, où il est dit qu'un homme qui ne dormirait pas pourrait gagner double salaire, l'un à paître les bœufs, l'autre les blancs moutons. Ou plus exactement, et cette distinction a de l'importance, les moutons d'argent, « ἄργυφα μῆλα» car, ajoute Homère, les chemins du jour côtoient ceux de la nuit. L'interprétation astrologique peut, sans l'épuiser, donner une clé à cette énigme.
Rappelons-nous la note de berard: « Les Alexandrins coupèrent ici leur chant IX afin que le premier mot de leur chant X
(«Αἰολίην ») correspondît exactement au vieux titre de l'épisode "Eole et les Lestrygons". » (p.54, n.566). En d'autres termes, une tradition tenace, remontant sans doute aux origines du poème homérique, liait intimement ces deux épisodes qui, à première vue, ne sont pas attachés.
Mais si nous admettons que le premier est