Les vriles de la vigne
Colette
LES VRILLES DE LA VIGNE
(1908)
Table des matières
LES VRILLES DE LA VIGNE 4
RÊVERIE DE NOUVEL AN 7
CHANSON DE LA DANSEUSE 12
NUIT BLANCHE 14
JOUR GRIS 18
LE DERNIER FEU 22
AMOURS 26
UN RÊVE 31
NONOCHE 34
TOBY-CHIEN PARLE 40
DIALOGUE DE BÊTES 47
MAQUILLAGES 53
BELLES-DE-JOUR 57
DE QUOI EST-CE QU’ON A L’AIR 65
LA GUÉRISON 75
LE MIROIR 83
LA DAME QUI CHANTE 88
EN BAIE DE SOMME 92
BAIN DE SOLEIL 96
À MARÉE BASSE 97
FORÊT DE CRÉCY 99
PARTIE DE PÊCHE 101
MUSIC HALLS 108
À propos de cette édition électronique 115
LES VRILLES DE LA VIGNE
Autrefois, le rossignol ne chantait pas la nuit. Il avait un gentil filet de voix et s’en servait avec adresse du matin au soir, le printemps venu. Il se levait avec les camarades, dans l’aube grise et bleue, et leur éveil effarouché secouait les hannetons endormis à l’envers des feuilles de lilas.
Il se couchait sur le coup de sept heures, sept heures et demie, n’importe où, souvent dans les vignes en fleur qui sentent le réséda, et ne faisait qu’un somme jusqu’au lendemain.
Une nuit de printemps, le rossignol dormait debout sur un jeune sarment, le jabot en boule et la tête inclinée, comme avec un gracieux torticolis. Pendant son sommeil, les cornes de la vigne, ces vrilles cassantes et tenaces, dont l’acidité d’oseille fraîche irrite et désaltère, les vrilles de la vigne poussèrent si dru, cette nuit-là, que le rossignol s’éveilla ligoté, les pattes empêtrées de liens fourchus, les ailes impuissantes…
Il crut mourir, se débattit, ne s’évada qu’au prix de mille peines, et de tout le printemps se jura de ne plus dormir, tant que les vrilles de la vigne pousseraient.
Dès la nuit suivante, il chanta, pour se tenir éveillé :
Tant que la vigne pousse, pousse, pousse…
Je ne dormirai plus !
Tant que la vigne