Lesage Gil Blas Colique
Je feignis d'avoir la colique. Je poussai d'abord des plaintes et des gémissements. Ensuite, élevant la voix, je jetai de grands cris.
Les voleurs se réveillent et sont bientôt auprès de moi. Ils me demandent ce qui m'oblige à crier ainsi. Je répondis que j'avais une colique horrible, et, pour mieux le leur persuader, je me mis à grincer les dents, à faire des grimaces et des contorsions effroyables, et à m'agiter d'une étrange façon. Après cela, je devins tout à coup tranquille, comme si mes douleurs m'eussent donné quelque relâche. Un instant après, je me remis à faire des bonds sur mon grabat1 et à me tordre les bras. En un mot, je jouai si bien mon rôle, que les voleurs, tout fins qu'ils étaient, s'y laissèrent tromper et crurent qu'en effet je sentais des tranchées2 violentes. Aussitôt ils s'empressent tous à me soulager. L'un m'apporte une bouteille d'eau-de-vie et m'en fait avaler la moitié ; l'autre me donne, malgré moi, un lavement d'huile d'amandes douces ; un autre va chauffer une serviette et vient me l'appliquer toute brûlante sur le ventre. J'avais beau crier miséricorde ;ils imputaient mes cris à ma colique et continuaient à me faire souffrir des maux véritables en voulant m'en ôter un que je n'avais point. Enfin, ne pouvant plus y résister, je fus obligé de leur dire que je ne sentais plus de tranchées, et que je les conjurais de me donner quartier3. Ils cessèrent de me fatiguer de leurs remèdes, et je me gardai bien de me plaindre davantage, de peur d'éprouver encore leurs secours.
Cette scène dura près de trois heures. Après quoi, les voleurs, jugeant que le jour ne devait