Lettre à une amie
Françoise,
BILAN.
L’amour et le bonheur.
N’oublies pas, Françoise que l’Amour est rarement le Bonheur, et que, s’il faut choisir, l’Amour doit être le préféré.
Quant à votre ton vieil ami …le temps est passé par là, avec ses machines à construire et ses machines à détruire.
J’ai vieilli.
Je ne suis devenu ni Proust, ni Chateaubriand.
En outre je ne démens rien de ce que je pensais à vingt ans, et de ce que j’écrivais à trente.
Sans doute, je ne récrirais pas aujourd’hui ce que j’écrivais alors.
Avec quelques années de plus, j’écrirais autre chose – et peut-être de moins confus.
J’ai changé, bien entendu - et d’ailleurs pas tellement.
J’ai peut-être un peu appris mais je n’ai rien oublié.
Non, je ne regrette rien.
Et je ne renie rien de ces temps qui s’éloignent, ni de ma jeunesse effacée.
Sauf Toi que j’ai « connue » trop tard...
Sans doute, en ces temps-là – in illo tempore…-, étais-je plus jeune, plus libre, plus naïf, plus insolent qu’aujourd’hui.
Je n’en rougis certes pas.
Peut-être faudrait-il plutôt rougir d’avoir accepté de vieillir.
Je ne m’y résous pas non plus.
Vieillir est, jusqu’à ce jour, et pour un bon bout de temps, j’imagine ; le seul moyen de ne pas mourir.
Parfois j’ai envie de crier :
Méfiez-vous fillettes qui jouez au soleil, méfiez-vous, jeunes gens, déjà guettés à la fois par la vie et par la mort également sans pitié, vous vieillirez aussi si vous ne mourrez pas.
Je ne suis pas mort encore.
Merci, mon DIEU !
Mais le temps, évidemment, a exercé sur moi ses pouvoirs misérables, ses prestiges, ses ravages.
J’ai fait ce que j’ai pu dans ce déferlement.
J’ai navigué au plus près entre l’indifférence, la dépression et l’insatisfaction, entre mes défauts et mes passions, entre le monde et moi, entre le bonheur et l’inquiétude, entre mes contradictions, entre mes limites que je connais mieux que personne (quoique tu les aies indubitablement perçues), et mes minces