Lettre 75
De Cécile Volanges à Sophie Carnay
Nota. Dans cette lettre, Cécile Volanges rend compte dans le plus grand détail de tout ce qui est relatif à elle dans les événemens que le lecteur a vus à la fin de la première partie. On a cru devoir supprimer cette répétition. Elle parle enfin du Vicomte de Valmont, & elle s’exprime ainsi.
… Je t’assure que c’est un homme bien extraordinaire. Maman en dit beaucoup de mal ; mais le chevalier Danceny en dit beaucoup de bien, & je crois que c’est lui qui a raison. Je n’ai jamais vu d’homme aussi adroit. Quand il m’a rendu la lettre de Danceny, c’était au milieu de tout le monde, & personne n’en a rien vu ; il est vrai que j’ai eu bien peur, parce que je n’étais prévenue de rien ; mais à présent je m’y attendrai. J’ai déjà fort bien compris comme il voulait que je fisse, pour lui remettre ma réponse. Il est bien facile de s’entendre avec lui, car il a un regard qui dit tout ce qu’il veut. Je ne sais pas comment il fait : il me disait dans le billet dont je t’ai parlé, qu’il n’aurait pas l’air de s’occuper de moi devant maman : en effet, on dirait toujours qu’il n’y songe pas ; & pourtant toutes les fois que je cherche ses yeux, je suis sûre de les rencontrer tout de suite.
Il y a ici une bonne amie de Maman, que je ne connaissais pas, qui a aussi l’air de ne guère aimer M. de Valmont, quoi qu’il ait bien des attentions pour elle. J’ai peur qu’il ne s’ennuie bientôt de la vie qu’on mène ici, & qu’il ne s’en retourne à Paris ; cela serait bien fâcheux. Il faut qu’il ait bien bon cœur d’être venu exprès pour rendre service à son ami & à moi ! Je voudrais bien lui en témoigner ma reconnaissance, mais je ne sais comment faire pour lui parler ; & quand j’en trouverais l’occasion, je serais si honteuse, que je ne saurais peut-être que lui dire.
Il n’y a que Mme de Merteuil avec qui je parle librement, quand je parle de mon amour. Peut-être même qu’avec toi, à qui je dis tout, si c’était en causant, je serais embarrassée. Et