Lettre d'un condamné à mort
12 décembre 1943 Fresnes
Chère Maman,
Ma lettre va te causer une grande peine, mais je t’ai vue si remplie de hardiesse que, je n’en doute pas, tu désireras encore le préserver, ne serait-ce que par amour pour moi.
Tu ne peux savoir ce que moralement j'ai enduré dans ma geôle, ce que j'ai souffert de ne plus vous voir, de ne plus sentir peser sur moi votre tendre soin que de loin. Pendant ces 78 journées de cachot, votre amour m'a manqué plus que vos colis, et souvent je vous ai sommé de me pardonner le mal que je vous ai fait, tout le mal que je vous ai fait.
Tu ne peux te douter de ce que je vous aime maintenant car, antérieurement, je vous aimais plutôt par usage, mais aujourd'hui je vois tout ce que vous avez fait pour moi et je crois être parvenu à l'amour filial incontestable. Peut-être après la guerre, un compère vous parlera-t-il de moi, de cet amour que je lui ai communiqué. J'espère qu'il ne manquera pas à cette responsabilité sacrée.
Bénit toutes les personnes qui se sont intéressées à moi, et essentiellement nos plus proches parents et amis ; dis-leur ma loyauté en la France infinie. Étreint très fort mes aïeux, mes tontons, tantes et cousins, Angie. Je salue d'ailleurs en passant mes copains de lycée.
Je concède ma petite bibliothèque à Hicham, mes livres de classe à mon petit papa, mes collections à ma chère petite maman, quoique méfie-toi du dard du scorpion, le poison agit même après la mort.
Je péris pour ma Patrie. Je désire une France autonome et des Français bienheureux. Non pas une France arrogante, principale nation du globe, mais une France laborieuse, active et honnête. Que les Français soient heureux, voici le primordial. Dans la vie, il faut savoir récolter le bonheur. C’est ce qui m’a donné envie de rejoindre mes connaissances dans la Résistance, quitte à passer, comme eux, pour un suicidaire de mon vivant, mais au moins pour un martyr une fois mort. Pourtant tu sais que je suis