Lettres persanes xxiv
MONTESQUIEU
I- Une écriture épistolaire
1) Une lettre fictive
Une observation de la typographie, de l’exorde (l. 1) et de la formule de clôture ( l . 54 ) révèle l’une des caractéristiques majeures du texte : l’écriture épistolaire.
L’énoncé présenté ici est la lettre qu’un dénommé « R i c a », de passage à Paris, adresse à « I b b e n », son correspondant oriental. Les dates qui figurent à la fin du récit de Rica (« le 4 de la lune de Rebiab, 2, 1712 » ) et dans le para-texte (Lettres persanes, 1721) soulignent la présence d’un double système d’énonciation : la lettre rédigée en 1712 appartient au roman épistolaire que Montesquieu publia en 1721. Il s’agit donc d’une lettre fictive.
2) Un énoncé ancré dans la situation d' énonciation
De multiples indices permettent au lecteur d’identifier les circonstances qui président à la rédaction de cette lettre.
Les premiers mots laissent entendre que Rica n’est pas seul (il est accompagné d’Usbek, dont le nom n’est pas cité) et qu’il voyage. Par l’emploi du présent d’actualité et le jeu des indications spatio-temporelles, nous savons précisément où et quand fut écrite la lettre. Bien des éléments révèlent également les origines orientales de son énonciateur :
– Certaines informations nous sont données par les formules d’ouverture et de clôture : noms aux consonances étrangères (« Rica », « Ibben ») ; indication de lieu (« Smyrne », ancien nom de la ville turque d’Izmir) ; référence au calendrier persan (l. 55).
– D’autres sont inhérentes au contenu du message : comparaison entre Paris et Ispahan (l. 7) ; allusion aux maisons basses des villes orientales ; évocation des « voitures lentes d’Asie » et du « pas réglé (des) chameaux » (l. 18-19).
Ces références à l’Orient, concession faite à la couleur locale et au pittoresque, peuvent paraître conventionnelles ; elles permettent à Montesquieu d’évoquer la société française des dernières années du règne de Louis XIV et de la