" Il n’y a point de mot qui ait reçu plus de différentes significations, et qui ait frappé les esprits de tant de manières, que celui de liberté. Les uns l’ont pris pour la facilité de déposer celui à qui ils avaient donné un pouvoir tyrannique ; les autres, pour la faculté d’élire celui à qui ils devaient obéir ; d’autres, pour le droit d’être armés, et de pouvoir exercer la violence ; ceux-ci pour le privilège de n’être gouvernés que par un homme de leur nation, ou par leurs propres lois. Certain peuple a longtemps pris la liberté pour l’usage de porter une longue barbe. Ceux-ci ont attaché ce nom à une forme de gouvernement, et en ont exclu les autres. Ceux qui avaient goûté du gouvernement républicain l’ont mise dans ce gouvernement ; ceux qui avaient joui du gouvernement monarchique l’ont placée dans la monarchie. Enfin chacun a appelé liberté le gouvernement qui était conforme à ses coutumes ou à ses inclinations ; et comme dans une république on n’a pas toujours devant les yeux, et d’une manière si présente, les instruments des maux dont on se plaint ; et que même les lois paraissent y parler plus, et les exécuteurs de la loi y parler moins ; on la place ordinairement dans les républiques, et on l’a exclue des monarchies. Enfin, comme dans les démocraties le peuple paraît à peu près faire ce qu’il veut, on a mis la liberté dans ces sortes de gouvernements ; et on a confondu le pouvoir du peuple avec la liberté du peuple.
Chapitre III
Ce que c’est que la liberté
Il est vrai que dans les démocraties le peuple paraît faire ce qu’il veut ; mais la liberté politique ne consiste point à faire ce que l’on veut. Dans un Etat, c’est-à-dire dans une société où il y a des lois, la liberté ne peut consister qu’à vouloir faire ce que l’on doit vouloir, et à n’être pas contraint de faire ce que l’on ne doit pas vouloir.
Il faut se mettre dans l’esprit ce que c’est que l’indépendance, et ce que c’est que la liberté. La liberté est le droit de faire tout ce que