Lieu
« De la musique avant toute chose, Et pour cela préfère l'Impair Plus vague et plus soluble dans l'air, Sans rien en lui qui pèse ou qui pose. »
• Crise de vers en musique
Vous connaissez tous ces vers, par lesquels débute le poème de Verlaine intitulé « Art poétique ». Ce poème e été publié en novembre 1882 dans la revue Paris-Moderne, puis il a été repris dans Jadis et Naguère, en 1884. On est dans la période où se prépare une grande révolution dans la poésie française: le vers de 9 syllabes qui donne une allure un peu asymétrique aux vers de l'« Art poétique » se présente comme une étape sur le chemin qui mènera bientôt au vers libre. Pour être sûr d'être bien compris, je me permets de préciser tout de suite, pour ceux qui auraient besoin de se rafraîchir la mémoire, ce que c'est que cette bête étrange, un « vers libre ». Le vers libre, c'est d'abord un vers, c'est-à-dire un groupe de mots isolé d'autres groupes de mots par un retour à la ligne. Dans le vers métrique, en français, ce retour à la ligne est dicté par le décompte d'un nombre de syllabes: on revient à la ligne toutes les x syllabes. Dans le cas du vers libre, le principe de segmentation demeure mais il n'est plus déterminé par la récurrence d'un nombre quelconque. Il est difficile d'être plus précis, et en particulier de formuler une quelconque constante concernant les motivations qui dictent le retour à la ligne. La période où Verlaine écrit son « Art poétique » précède de peu ce moment que Mallarmé a épinglé sous l'heureuse étiquette de « crise de vers ». La crise de vers, selon lui, éclate en 1885 date de la mort de Victor Hugo. J'aime particulièrement cette dramatisation mallarméenne qui dépeint Hugo comme « le vers personnellement ». Et voici comment se déclenche la crise: « Le vers, je crois, avec respect attendit que le géant qui l'identifiait à sa main tenace et plus ferme toujours de forgeron, vînt à manquer; pour, lui, se rompre »1.