Littérature
LE VILLAGE DE L’ALLEMAND
OU
LE JOURNAL DES FRÈRES SCHILLER roman
nrf
GALLIMARD
© Éditions Gallimard, 2008
Je remercie très affectueusement Mme Dominique G. H., professeur au lycée A. M., qui a bien voulu réécrire mon livre en bon français. Son travail est tellement magnifique que je n’ai pas reconnu mon texte. J’ai eu du mal à le lire. Elle l’a fait en mémoire de Rachel qu’elle a eu comme élève. « Son meilleur élève », a-t-elle souligné. Dans certains cas, j’ai suivi ses conseils, j’ai changé des noms et supprimé des commentaires. Dans d’autres, j’ai conservé ma rédaction, c’est important pour moi. Elle dit qu’il y a des parallèles dangereux qui pourraient me valoir des ennuis. Je m’en fiche, ce que j’avais à dire, je l’ai dit, point, et je signe :
MALRICH SCHILLER.
Journal de Malrich
Octobre 1996
Cela fait six mois que Rachel est mort. Il avait trente-trois ans. Un jour, il y a deux années de cela, un truc s’est cassé dans sa tête, il s’est mis à courir entre la France, l’Algérie, l’Allemagne, l’Autriche, la Pologne, la Turquie, l’Égypte. Entre deux voyages, il lisait, il ruminait dans son coin, il écrivait, il délirait. Il a perdu la santé. Puis son travail. Puis la raison. Ophélie l’a quitté. Un soir, il s’est suicidé. C’était le 24 avril de cette année 1996, aux alentours de 23 heures. Je ne savais rien de ses problèmes. J’étais jeune, j’avais dix-sept ans quand ce quelque chose s’est cassé dans sa tête, j’étais sur la mauvaise pente. Rachel, je le voyais peu, je l’évitais, il me pompait avec son prêchi-prêcha. Je regrette de le dire, c’est mon frère, mais bon citoyen à ce point, ça te met la panique. Il avait sa vie, j’avais la mienne. Il était cadre dans une grosse boîte américaine, il avait sa nana, son pavillon, sa bagnole, sa carte de crédit, ses heures étaient minutées, moi je ramais H24 avec les sinistrés de la cité. Elle est classée ZUS-1, zone urbaine sensible de première catégorie. Pas de répit, on sort d’un