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Amélie Nothomb
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Partie 3
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A cet égard, le sommet fut atteint quand on passa du mois de février au mois de mars. Avancer le cadre rouge ne suffisait pas ce jour-là : il me fallait tourner, voire arracher la page de février. Les employés des divers bureaux m'accueillirent comme on accueille un sportif. J'assassinais les mois de février avec de grands gestes de samouraï, mimant une lutte sans merci contre la photo géante du mont Fuji enneigé qui illustrait cette période dans le calendrier Yumimoto. Puis je quittais les lieux du combat, l'air épuisé, avec des fiertés sobres de guerrier victorieux, sous les banzaï des commentateurs enchantés. La rumeur de ma gloire atteignit les oreilles de monsieur Saito. Je m'attendais à recevoir un savon magistral pour avoir fait le pitre. Aussi avais-je préparé ma défense : - Vous m'aviez autorisée à mettre à jour les calendriers, commençai-je avant même d'avoir essuyé ses fureurs. Il me répondit sans aucune colère, sur le ton de simple mécontentement qui lui était habituel : - Oui. Vous pouvez continuer. Mais ne vous donnez plus en spectacle : vous déconcentrez les employés. Je fus étonnée de la légèreté de la réprimande. Monsieur Saito reprit : - Photocopiez-moi ça. Il me tendit une énorme liasse de pages au format A4. Il devait y en avoir un millier. Je livrai le paquet à l'avaleuse de la photocopieuse, qui effectua sa tâche avec une rapidité et une courtoisie exemplaires. J'apportai à mon supérieur l'original et les copies. Il me rappela : - Vos photocopies sont légèrement décentrées, dit-il en me montrant une feuille. Recommencez. Je retournai à la photocopieuse en pensant que j'avais dû mal placer les pages dans l'avaleuse. J'y accordai cette fois un soin extrême : le résultat fut impeccable. Je rapportai mon oeuvre à monsieur Saito. - Elles sont à nouveau décentrées, me dit-il. - Ce n'est pas vrai !